Georges MARTIN-CHARPENEL
Président de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes
de1961 à 1968.
Texte publié dans un bulletin de la Société scientifique et Littéraire des Alpes de Haute Provence.
Le 30 août au soir 1'on apprenait avec consternation la mort du docteur Martin-Charpenel, notre Président, enlevé à 58 ans alors qu'on était en droit d'attendre de lui, surtout si une retraite ou une diminution de ses activités professionnelles lui avaient laissé quelque loisirs, une contribution des plus larges à notre, société et à la vie culturelle du département. Hélas, le sort ne l'a pas permis : au même âge que son père, il meurt, frappé d'une hémorragie cérébrale, le 29 août, alors que, en gare de Manosque, il accueillait sa femme et sa fille, de retour de vacances.
Ses obsèques ont été célébrées par le chanoine Signoret, à Manosque, le 2 septembre, au milieu d'une foule affligée et nombreuse. Étant absent des Basses-Alpes et même de France, nous ne pûmes lui rendre l’hommage qui nous incombait en raison de la très longue collaboration et de 1'amitié nous unissant à lui ; notre vice-président, M. Raoul Arnaud, majoraI du Félibrige, prononça les paroles que l'on trouvera à la suite de cet article nécrologique. M. .Jean Vial, président départemental des Anciens combattants volontaires de la résistance, salua de son côté ses mérites de patriote.
Par une faiblesse qu'il ne se pardonna jamais, ce Bas-Alpin fervent, cet homme enraciné dans le terroir natal par toutes les fibres de, son être, était né à Grenoble (le 20 février 1910). Il y avait des excuses, il est vrai : son père, fonctionnaire des contributions indirectes, s'y trouvait en poste. Mais avant lui, quelle longue file d’ancêtres attachés à la glèbe de l’Ubaye ! Il avait d’ailleurs dressé lui-même sa généalogie, remontant à 1651 (par le décès d’un André Martin le 1er juillet de cette année là et par un partage des eaux d’arrosage à Pra Soubeiran, la même année).
Du côté de son père, Joseph Martin, né à Barcelonnette, il était originaire du hameau de Pra Soubeiran, situé près de cette ville ; son grand-père, Ferdinand, y était cultivateur. Du côté de sa mère, Suzanne, née à Lyon, il venait des Charpenel, établis de père en fils au Châtelard (la Condamine). Ce fut vers 1930 qu’il ajouta le nom de Charpenel à son patronyme.
Suivant sans doute les pérégrinations professionnelles de son père, on le voit effectuer ses études primaires et secondaires à Chaumont (Haute-Marne), puis étudiant à Dijon et à Paris (faculté de médecine).
Déjà il consacrait ses loisirs à faire des recherches sur divers sujets touchant aux Basses-Alpes ; ainsi il devint un habitué de la Bibliothèque nationale.
Déjà aussi, il fouinait chez les libraires parisiens, en quête de toutes sortes d’ouvrages sur les Basses-Alpes …Jusqu’à sa mort, il devait poursuivre passionnément cette chasse aux livres, ce qui lui a permis de constituer l’une des plus belles bibliothèques (ou peut-être la plus belle) relatives aux Basses-Alpes.
Ce goût si vif pour la connaissance de tous les aspects de son pays natal, ne l’empêchait pas, d’ailleurs, de tourner son intérêt vers bien d’autres sujets : on le voit par exemple créer un club se sports à la Cité Universitaire de Paris (1)
Et la médecine ni ses études ne pâtissaient de ces curiosités si intenses, si diverses : fervent admirateur du philosophe Alain, il avait sienne cette devise : « il faut toujours quelque passion qui nous mette la plume à la main ».
Au delà des cours obligatoires, il se portait volontaire pour étudier la fièvre jaune à l’Institut Pasteur (d’où diverses publications dans le Bulletin de la Société de pathologie exotique à partir de 1932). En 1934, il réussissait au concours d’internat des hôpitaux de paris et, jusqu’en 1936, il exerçait les fonctions d’interne à l’hôpital de Saint-Denis. En 1937, il obtenait le diplôme de docteur en médecine pour une thèse intitulée « Le pain de froment » (étude médicale sur la valeur alimentaire des farines et des pains), lui valut la mention « très honorable », avec attribution d’une médaille d’argent, ce qui lui conférait le titre de lauréat de la faculté de médecine de paris.
Et de très bonne heure, à partir de 1930 environ, il commença à faire paraître des articles dans diverses publications sur des sujets très variés : dans Le Petit Haut Marnais, La Cité universitaire, Le Journal de Barcelonnette, le Progrès civique, Alpes et Midi, etc.
Jusque vers 1958 environ, c’est à dire jusqu’à ce que ses clients ne l’eussent pas accaparé entièrement, des chroniques signées de son nom relataient dans la presse locale des aperçus d’histoire pittoresque ou intéressante, particulièrement sur Manosque.
C’est en effet dans cette ville qu’il se fixa, en janvier 1938 – cette ville qui a été sa patrie d’élection. Médecin de l’hôpital depuis le 1er janvier 1939, il y eut une carrière des plus actives mais qui, les premières années, fut troublée par les événements qu’on sait.
Il y participa d’ailleurs de façon émérite : entré dans la résistance, dès le début, il donna soins aux maquisards et on a pu l’appeler le « médecin du maquis ». Il avait le grade de médecin capitaine des forces françaises de l’intérieur, fut l’adjoint de Jean Piquemal, dont il prit la place, après sa disparition. Il appartenait aussi au réseau anglais de Roger Buckmaster. Cette participation plus qu’honorable à la résistance lui fit attribuer la croix de guerre avec étoile, la médaille de la résistance, une décoration anglaise (2).
Après la guerre, toutes ses activités culturelles ont été axées sur le désir de célébrer, de sauvegarder et de faire connaître la Haute-Provence. Elles se sont particulièrement déployées dans le cadre de la commission départementale des sites dont il a été président de la section permanente depuis 1946 environ. Avec une assiduité et un dévouement sans relâche, il a présidé les séances, préparé les dossiers. Il fallait qu’un accouchement fût bien pressant pour qu’il renonçât à venir à Digne ! Et que de fois on l’a vu, harcelé par ses obligations professionnelles, se précipiter en trombe au chef-lieu, diriger la séance, puis repartir non moins vite : car pris entre tous ses devoirs, il les disputait au temps, ce temps qui a enfin eu raison de lui.
Persuadé, à juste titre, que la beauté des sites, la qualité des paysages constituent le plus riche patrimoine des Basses-Alpes, il a été sans cesse sur la brèche pour les défendre :on ne compterait point les lignes électriques dont il a suivi attentivement le tracé sur les plans ou même sur les lieux, ici demandant une rectification, ailleurs le déplacement d’un pylône ; on compterait encore moins les arbres dont il a réclamé le maintien, les constructions intempestives ou fâcheuses contre lesquelles il s’est élevé ou qu’il a fait arranger. Il a surveillé de près l’établissement des barrages, la sauvegarde des sites classés. Si les gorges du Verdon n’ont pas été englouties sous l’eau, c’est un peu à lui qu’on le doit ; si Moustiers a gardé son charme, c’est aussi un peu à lui qu’on le doit.
Aimant profondément la Haute-Provence, il refusait qu’elle fût adultérée, profanée, il voulait que sa terre natale restât fidèle à elle-même, et il a mené de front, plus de deux décades durant, à la fois des obligations professionnelles souvent accablantes, et ses fonctions au sein de la commission des sites, fonctions plus délicates, plus astreignantes qu’on pourrait le croire au prime abord, mais fonctions combien nécessaires et qui le deviendront de plus en plus, avec le développement de l’urbanisation, du machinisme, etc.
Défenseur né du patrimoine naturel de la Haute-Provence, il a voulu aussi protéger et accroître ses richesses naturelles, artistiques. Le sort n’a pas voulu qu’il pût réaliser son projet de musée à Manosque, pour lequel cependant il a effectué bien des démarches et rassemblé bien des éléments. Aussi longtemps que sa réputation de médecin n’a pas envahi totalement ses loisirs, il a accouru sitôt qu’on lui signalait quelque découverte archéologique dans la région de Manosque et, avec une poignée de jeunes groupés autour de lui, il ne laissait à personne d’autre le soin de la mettre à jour, de l’étudier.
Surtout il a œuvré au sein de la Société Scientifique et Littéraire des Basses-Alpes : vice président depuis 1952, président depuis le 18 décembre 1961, il a assisté à toutes les réunions auxquelles ses malades le permettaient. Quand, par hasard, un état sanitaire meilleur lui donnait quelques libertés, il s’occupait plus attentivement de la société : le changement de présentation de notre bulletin en 1958 lui doit assez. Sa collaboration au texte eût été bien plus large si ses loisirs l’avaient été aussi. Nous lui devons tout de même : Description générale de la vallée de Barcelonnette en 1727 par le chevalier de Roquepiquet (T XXV, 1934-1935, pp30, 53), - Notices historiques sur la vallée de barcelonnette, Miettes d’histoire anecdotique (T XXVII, 1938-1939, pp14,40). – Les armoiries municipales de Manosque (T XXXII, n° 186, 1950, pp7-25). On voit que sa collaboration a débuté de bonne heure, mais malheureusement, s’est raréfiée avec le temps… Ici aussi les activités professionnelles en sont la cause. Cependant, ça et là, il s’arrangeait pour rogner sur des horaires écrasants. Tantôt, il luttait pour que les Basses-Alpes prissent le nom de Haute-Provence ; tantôt il s’occupait de la publication de tel ou tel ouvrage : ainsi « Basses-Alpes » publié vers 1956 sous les auspices du conseil général et dans lequel il a même donné trois articles (Sites et monuments remarquables, Paul Arène, Folklore et traditions), ainsi, tout récemment, « Provence perdue », de Jean Giono, publié sous les auspices du Rotary club de Manosque, ouvrage insigne par le texte, la présentation, les illustrations… Et encore nous ne citons que les entreprises qu’il a pu mener à bonne fin : mais que de dossiers ouverts, sur tel monument, sur tel personnage remarquable, sur tel ou tel sujet relatif à la Haute-Provence, dossiers qui dorment inachevés et qui pourtant représentent bien des heures arrachées au sommeil, bien de bouts de temps casés tant bien que mal entre des visites médicales.
Et ces dossiers donnent quelques idées de tout ce que le docteur Martin-Charpenel eût pu être si le sort n’en avait décidé autrement : un archéologue, un photographe, un historien émérite, comme il a été un patricien éminent.
Il aspirait à la retraite qui lui eût permis de se livrer enfin, totalement, à ses activités culturelles notamment de pousser jusqu’à achèvement un ouvrage sur les sites des Basses-Alpes, ouvrage dont il avait tracé les grandes lignes. Et il eût collaboré plus étroitement à la Société scientifique et littéraire, surtout au comité de sauvegarde des monuments et sites, à la création duquel il avait contribué et qu’il eût certainement animé de toute sa personnalité.
Le destin ne lui a pas permis de se réaliser pleinement : une vie trop trépidante, trop surmenée de médecin pratiquant la médecine générale et apprécié par une clientèle qui trouvait en lui et réconfort et diagnostic sûr et thérapeutique à la fois modérée et efficace, ne lui a permis que d’employer des lambeaux de temps aux travaux historiques, archéologiques, et encore au détriment de sa santé. Abusant de ses forces, on peut bien dire qu’il a beaucoup sacrifié de son existence au service des autres et des Basses-Alpes.
Nous présentons nos condoléances respectueuses à Mme Georges Martin-Charpenel, à sa fille, à son fils, à sa belle-fille et à ses petits enfants.
Cher docteur, il nous reste à continuer l’œuvre à laquelle vous avez participé, à la développer encore : c’est la meilleure façon dont nous puissions rendre hommage à votre mémoire. Et nous savons que la terre de l’Ubaye, cette terre de vos ancêtres à laquelle vous étiez si attaché, sera légère à vos cendres.
R.C.
[ Raymond Collier, archiviste du département et secrétaire de la Société Scientifique et Littéraire ]
PAROLES PRONONCÉES À SES OBSÈQUES
Mes chers amis,
Lorsqu’il y a peine deux ans, le docteur Martin-Charpenel venait assister ma pauvre mère dans ses derniers moments et lui fermer les yeux à la lumière du jour, pour l’éternité, j’étais bien loin de penser que mon devoir et l’affection m’appelleraient si tôt au pied de cette tombe ouverte pour une disparition prématurée. C’est au nom de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes dont il était le président, c’est au nom de la Société française d’archéologie, c’est au nom du Félibrige dont il était membre actif que je viens m’incliner respectueusement sur les restes périssables de celui dont nous garderons la mémoire
Au Rotary, dont on vous a parlé, à la Société scientifique et littéraire, partout, durant sa courte vie, il trimé, sans relâche et en se dévouant pour les autres, en s’oubliant souvent lui-même, surtout dans son métier de médecin qu’il prédiquait avec science et bon sens.
Esprit fin et cultivé, d’une intelligence subtile, modeste à l’excès, il était un être supérieur qu’on avait intérêt à toujours mieux connaître. Originaire de cette belle vallée de Barcelonnette, il avait hérité aussi des vertus de sa race. Il avait en lui la noblesse paysanne et montagnarde.
C’est avec émotion que nous nous rappellerons ici les paroles de Mistral :
« Il y a une chose que les morts nous demandent et auxquels ceux-ci ont droit, c’est le souvenir ».
« I’a’no causo que li mort nous demandon, e que li mort i’an dre, acô ‘s la remembranço ».
Et que notre douleur aille vers la douleur de ceux qu’il laisse, vers sa compagne si attendrie, vers ses enfants, vers ses petits enfants qu’il chérissait.
Nous souhaitons que l’adieu ému que nous adressons à celui qu’ils perdent, leur aide à supporter la peine qui les étreint.
2 septembre 1968. Raoul Arnaud
Extraits du bulletin n° 252, Annales de Haute-Provence, de la Sté scientifique et littéraire
(1) A Manosque, par la suite, il contribua à fonder le club du Rotary et en fut président.
(2) Nous devons la plupart des renseignements qui précèdent au fils du docteur, M. Pierre Martin-Charpenel, que nous remercions vivement. Nous nous réjouissons aussi de constater qu’il veillera avec soin sur les collections de son père et se propose de marcher sur ses pas en mettant en oeuvre et en complétant ses dossiers inachevés.